Blaise Diagne à Paris
Nous sommes en février 1918. La Première Guerre mondiale sévit en Europe depuis maintenant près de quatre ans. La France, dont les forces vives s’amenuisent, cherche à recruter des «troupes fraîches» qui aideront à tenir le front en attendant l’aide des soldats américains. À prime abord, se servir dans l’immense réservoir d’hommes que représente l’Afrique Occidentale Française (AOF) semble être un choix logique pour la métropole. Or, les recrutements que la France a tenté au préalable n’ont pas eu les effets escomptés, et les grandes révoltes de 1915-1916 ont démontré l'insatisfaction claire des populations indigènes devant le recrutement. La situation avait été telle que les administrateurs coloniaux, et en particulier le gouverneur général de l’AOF, Van Vollenhoven , avait clairement affiché son désaccord envers toutes tentatives supplémentaire de recrutement de troupes en AOF. Au lendemain de l’échec du «Chemin des dames» – qui se déroule du mois d’avril au mois d’octobre 1917 –, on réfléchit à de nouvelles perspectives pour la France de faire la guerre. Ce faisant, les thèses militaires du colonel Mangin sur la «force noire» commencent à trouver écho dans la sphère politique française.
Cette carte retrace le parcours du député Diagne en 1918, essentiellement dans les territoires du Haut-Sénégal et Niger, soit dans la section de l’AOF. Elle s'appuie entre autres sur les travaux de Marc Michel, Patrick Dramé et Myron Eichenberg en conférant une dimension spatiale aux textes déja publiés par ces auteurs.
L'Afrique-Occidentale française
Le Haut-Sénégal et Niger est la colonie la plus vaste de l’AOF avec ses 3 millions de km2 et la plus peuplée aussi avec environ 5 600 000 habitants sur les 10 millions que compte la fédération. Ce territoire colonial a ainsi la réputation d’être une « terre à soldats » notamment dans certains de ses régions comme les pays mossi et bambara et le bassin de la Volta. À l’image des autres colonies africaines, le Haut-Sénégal et Niger présente également une extrême disparité de sa géographie humaine (appartenances ethnico-religieuses) et sociétés lignagères (dogon, lobi etc.) qui offrent peu de prise aux velléités de contrôle et de centralisation qui marquent la domination coloniale. En fait, si le recrutement de tirailleurs est bien antérieur à 1914, les exigences de la guerre européenne lui ont donné une dimension nouvelle qui se marque par son caractère permanent, intensif et intrusif mais aussi par la sophistication de ses méthodes et enfin par rapport aux modalités du consentement.
L'arrivée à Dakar
Diagne débarque à Dakar avec une grande escorte destinée à préparer et son voyage et l'accompagner à travers son périple. Elle est composée de 350 personnes dont trois officiers noirs. Il s'agit de son associé politique au Sénégal Galadou Diouf (À l'origine du fond photographique en appuie à cette carte), Dousso Ouologen originaire de la colonie et enfin Mademba Abd El Kadert fils du militaire algérien Abdelkader el-Djezairi, grand croix de la légion d'honneur sous Napoléon III. Les administrateurs Louis Blacher et Terasson de Fouguères en plus du publiciste Pierre Alype l'accompagnent également. La délégation est accueillie par une grande foule et l'on tire 15 coups de canons en son honneur. Amadou Hampaté Bâ, témoin de l'événement note : "Le haut-commissaire fut reçu avec une pompe sans précédent [...]. À Dakar comme ailleurs, ce grand ténor nègre du Parlement parla en français. On l’écouta religieusement [...]. Il sut faire appel au sens de l’honneur des Africains, en leur démontrant que la France assaillie, jusqu’à son coeur par des barbares avaient besoin d’eux [...]. L’objectif pour lequel le député du Sénégal avait été investi de cette mission était en bonne voie de réalisation : promouvoir un intense recrutement, tout en évitant les troubles et les révoltes antérieures Ainsi, à partir de Dakar la mission suscite un fort engouement des populations local et déploie une forte symbolique autour de la personne de Diagne en mobilisant les mécanismes locaux (Palabres,) Après Dakar, elle se dirige rapidement vers le coeur du Haut-Sénégal Niger vers Bamako.
Couvrir l'espace
La mission ne demeure que 6 mois en A.O.F depuis l’accueil en grande pompe du commissaire de la république à Dakar, le 18 février 1918. Elle ne parcourt pas moins près de 3500 km en excluant l'incursion en Guinée. Ainsi, le transport représente un enjeu majeur de cette mission. C'est une mosaïque comportant plusieurs peuples aux réalités différentes déterminés par leur confession et leur rapport au territoire que le député doit visiter. Pour couvrir cet espace, il emploie d'abord le fleuve et le chemin de fer qui l'achemine vers Bamako. Ensuite, c'est en voiture, bateau et bac qu'il parvient aux communautés du cœur de L'AOF, même les plus reclus. Ainsi, il tente d'établir un lien avec les populations normalement plus en marge de l'autorité coloniale pour y stimuler ou renforcer le recrutement en tenant compte des révoltes des années précédentes.
Si les moyens de déplacements du député s’avèrent si variés, c'est en fonction du caractère bien particulier des réseaux de communication de l'AOF. En effet, ils reposent sur la complémentarité entre les réseaux naturels déjà existants représentés par les fleuves Sénégal et Niger ainsi que l'implantation d'un réseau tardif de chemin de fer. Ce dernier relie d'abord Bamako à Kayes à partir de 1904, mais l'axe Dakar-Bamako ne sera complété qu'en 1923. Tant qu'à elles, les villes de Bobo-Dioulasso et Ouagadougou ne furent reliées par le chemin de fer que respectivement en 1933 et 1955
Palabre à Diabougou
Nous sommes ici en pays Lobi, un lieu hautement symbolique pour la tournée du commissaire puisque la région s’est révoltée quelques années plus tôt. Il s’agit d’une zone frontalière avec des réseaux de parenté importants afin que les déserteurs soient accueillis en territoire anglais dans la colonie de la Côte de l’Ivoire. Il y avait cependant une entente entre les Anglais et les Français pour mutuellement rapatrier les déserteurs. En effet, durant la guerre il règne une sorte de collaboration coloniale. Derrière le député, on remarque une énorme “case”, il s’agit du bâtiment destiné à l’accueil des invités.
Nous sommes ici en pays Lobi, un lieu hautement symbolique pour la tournée du commissaire puisque la région s’est révoltée quelques années plus tôt. Il s’agit d’une zone frontalière avec des réseaux de parenté importants afin que les déserteurs soient accueillis en territoire anglais dans la colonie de la Côte de l’Ivoire. Il y avait cependant une entente entre les Anglais et les Français pour mutuellement rapatrier les déserteurs. En effet, durant la guerre il règne une sorte de collaboration coloniale. Derrière le député, on remarque une énorme “case”, il s’agit du bâtiment destiné à l’accueil des invités. Le palabre se situe dans le cercle de Bamako. Afin de mesurer l'impact de la visite de Diagne sur le recrutement de chaques cercles, nous inscrirons les statistique de recrutement des différentes régions visitées pour mesurer l'impact des visites et déplacements.
Bamako
Nous sommes dans les toutes premières étapes de la visite de Diagne suite à son arrivée au Sénégal par bateau de France. Le convoi, après des haltes et visites aux abords du fleuve Sénégal et sur le chemin depuis Kayes arrive à Bamako (au cœur du pays bambara), étape importante de la mission. Toutes les autorités de la colonie sont amenées à rencontrer le Haut-Commissaire et organiser le futur recrutement. Il est intéressant ici de voir que Mademba Sy fait partie de la mission. Le témoignage de A. Hampathé Bâ dans son Oui mon commandant est particulièrement intéressant. Il est aussi surprenant qu'il ne fasse aucune mention des révoltes et des répressions qui ont marqué la région durant les années 1915-1916. En effet, ce cercle est d'une importance capitale puisque ses populations avaient été sévèrement réprimés par les autorités coloniales après s'être insurgés en 1915. L’extrême violence cette répression de l’insurrection révèlait la détermination du pouvoir colonial à préserver sa souveraineté mais aussi et surtout la permanence de sa volonté à se fournir en hommes le front métropolitain. Grâce à un redressement des autorités locales et au passage de Diagne, on observe un recrutement au delà des attentes de la métropole dans ce cercle.
Bougouni
En plus de la propagande opérée autour du passage de Diagne, sa venue était préparée par certains décrets qui lui permettait de de promettre et accorder des compensations aux familles des engagés. Selon Marc Michel, il s'agissait d'un ensemble de réformes qui devaient consacrer une améioration de la condition sociale des populations africaines. Il s'agissait de compensations monétaires accordées aux recrutés, leurs familles et leurs communautés même si, toujours selon Michel, il ne s'agissait que de la reprise des mesures du précédent recrutement avec quelques dispositions supplémentairs (exemption d'impôt, prestations individuelles, etc). Il s'agit d'un autre aspect de l'édifice propagandaire qui est soigneusement construit pour assurer un recrutement sans précédent.
Sikasso
Il est possible de voir de nombreux drapeaux français suspendus à des cordes. Cette mise en scène témoigne de l'attention accordée au passage de Diagne à la fois par la mission elle-même et les chefs locaux. On remarque globalement que cette fois, le recrutement est minutieusement préparé puisque le convoi est acheminé au bord des routes, des points d’eau et des gîtes. Ainsi, la majorité des endroits où Diagne s’arrêtera auront donc préparés des accueils en bonne et due forme à l’envoyé spécial du gouvernement français. Recevant tous ces honneurs, les photos du fond personnel de Galandou Diouf démontrent admirablement l'aspect propagandaire de la mission ainsi que son ''action psychologique'' sur les peuples visités.
Bobo-Dioulasso
Nous sommes à Bobo-Dioulasso, en plein territoire Bobo et dans ce qui est l’actuel Burkina Faso. Ici, nous avons une photo des populations locales rassemblées dans le coeur du village. On peut noter la présence d’une haute muraille qui forme une enceinte défensive autour du village. Ces murailles, faisant du village un village fortifié, ont favorisé les soulèvements en 1916 et ont mené les forces coloniales à exercer des bombardements destructifs pour en venir à bout. Il y a eu des répressions sévères et les insurgés perdirent des milliers des leurs ; des guerriers oui, mais aussi parfois des simples villageois. Malgré (Il s'agit d'un vide laissé dans la version originale)
Le passage de la Volta
Nous sommes dans un territoire qui fût marqué par l’une des plus grandes révoltes contre le recrutement de 1916. Il importe de se rendre précisément dans les communautés s’étant révoltées puisque depuis ladite révolte, de lourdes amendes même le double de l’impôt ordinaire sont imposées aux villages rebelles. Comme elles ne seront pas encore payées en 1918, Blaise Diagne obtiendra des remises pour les villages de “bonne volonté”. Il s’agit d’une sorte de dépenses accordée par le commissaire en fonction d’un pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé par les autorités françaises. Nous sommes également aux confins du territoire colonial du Haut-Sénégal et Niger. La Volta est un fleuve se jetant dans le golfe de Guinée. On nomme ses confluences ainsi : la Volta Noire, la Volta Blanche et la Volta Rouge. Elles façonnent le paysage de l’actuel Ghana et Burkina Faso. On traverse ici la Volta Noire, pour se rendre à Dédougou en pays bambara.
Dédougou
Nous sommes ici à Dedougou, territoire occupé par des populations Bwa, Samos et Peul. Les deux premières sont animistes et la dernière est musulmane. Il n’y a donc pas qu’une seule autorité religieuse à aborder dans cette région. De féroces résistances y eurent lieu en 1916 et, depuis ces évènements, des troupes y sont stationnées en guise d’avertissement. Il s’agit donc d’une zone où le recrutement s’avère fort difficile. La photographie montre l’arbre à palabre, un lieu de rassemblement bien situé, où les gens peuvent converger rapidement. Diagne y fait une allocution publique avant de s’entretenir avec les chefs locaux. Lors de son discours, il est important qu’il parvienne à convaincre les femmes étant donné que l’opinion de ces dernières est significativement plus importante en Afrique qu’en Europe.
Koudougou
Nous sommes ici à Koudougou, sur le chemin vers le coeur du pays Mossi. Le commissaire Diagne se trouve parmi les peuples Gourounsi et Mossi. On peut estimer que l'impact de cet arrêt est très important puisque les gourounsi résistent à la pénétration coloniale, mais pas au recrutement. Ainsi, on consolide leur appui. On présume qu’ils se tiennent dans une mosquée puisque les gens semblent s’être retournés suite à leur prière. L’individu à droite semble être le lieutenant-gouverneur de la compagnie. Parmi les gens mis de l’avant, on remarque un individu en tenue locale, il s’agit probablement d’un interprète. Ces derniers sont très importants dans la mesure ou, lorsque Diagne s’aventure hors des grandes villes de l’ouest de la colonie, il n’est plus en mesure de comprendre l’ensemble des langues locales.
Ouagadougou
Nous sommes ici en pays Mossi. Les Mossis sont un peuple installé dans l’actuel Burkina Faso. On assiste à un Palabre avec le commissaire bien au centre. Le Palabre est une sorte de réunion populaire et un lieu traditionnel de rassemblement, le plus souvent autour d’un arbre bien positionné. Les décisions sur la vie en société, la politique et autres sujets d’importance générale y sont prises. Il s’agit donc d’un lieu décisionnel et de débat capital dans le village. Dans cette photo, on constate comment la campagne de Diagne diffère du recrutement précédemment effectué. L’historien Marc Michel mentionna avec justesse qu’elle s’appuie avant tout sur une habile propagande psychologique ainsi qu’une grande démagogie dont le palabre devient le vecteur principal.
Les engagés volontaires
À Ouagadougou, l'héritier du Moro Naba et des engagés volontaires photographient entre le commissaire de la république et le gouverneur de la colonie. Le phénomèene des engagés volontaires est bien réel. En courtisant le Moro Naba (roi),l'administration coloniale espère que les soldats du mossi, considérés comme les meilleurs guerries de l'Afrique de l'Ouest, viennent d'eux-même grossir les rangs des troupes coloniales. Or, Jean-Pierre Bat mentionnera que nous étions loin d’une adhésion volontaire tant promue par la propagande coloniale. C'est finalement ''la coercition qui a été le principal moteur de la mobilisation''
Le rôle du griot
Il s’agit d’un lieu important puisqu'il y a eu de nombreuses révoltes à Yako. C’est également une région qui accueille des réfugiés. La population leur réserve un accueil qui semble réellement enthousiaste, les gens sont subjugués par Diagne. Sur la photo on remarque la présence d’un griot. Le griot est le dépositaire des traditions et de l’histoire des civilisations de l’oral en Afrique de l’Ouest. L’accueil folklorique est donc généralement signe de bonnes relations à venir entre la tournée de Diagne et les peuples locaux.
Yako et le Moro Naba
Nous sommes à Yako au sein du vieux royaume des Mossis qui sont, comme mentionné plus tôt, un groupe ethnique spécifique. Ces derniers sont animistes. Le Mogho Naba, chef des Mossis, va jouer un rôle majeur dans le succès du recrutement. Ce faisant, l’absence des autorités coloniales démontre que le chef fait bien le recrutement. La médaille sur le vêtement du Mogho Naba témoigne fort probablement du Zèle avec lequel il parvient à recruter les jeunes, même les plus récalcitrants. Son autorité est incontestable et sa connaissance de la communauté parfaite. Cela fait de lui une ressource fort importante pour les autorités coloniales. On remarque également la présence d’un chef touareg puisque lors de passage du commissaire, les groupes des régions avoisinantes se rassemblent pour le rencontrer. Les jeunes assis en avant-plan sont probablement des candidats potentiels au recrutement.
L’administrateur en chef du cercle du Mossi, d’Arboussier signale pour sa part, en 1917 « le mauvais esprit de la population de Yako (dans la subdivision de Koudougou) qui lors du dernier recrutement avait évacué les villages pour se réfugier en armes dans la brousse plutôt que de fournir les contingents demandés. Il faut rappeler également que les réfractaires des circonscriptions voisines trouvent toujours asile dans cette région.
Ouagahouyia
Nous sommes aux portes du désert. Il s’agit de l’ancienne capitale du royaume Yatenga situé au nord du Burkina Faso actuel (Haut-Sénégal et Niger). C’est effectivement la frontière entre la zone soudanaise et le nord chez les touaregs. Il s’agit d’un palabre où on convoque les gens sur la place du village, la foule y recueille les directives. Le colonisateur récupère ainsi le palabre traditionnel à son avantage. Il s’agit d’un endroit symbolique puisqu’il s’y trouve un bâtiment administratif colonial. Le phénomène des fuites en brousse a aussi été signalé dans le cercle de Ouahigouya. En effet, le Baloum Naba, chef traditionnel mossi, interrogé par l’administrateur d’Arboussier à propos du déroulement du recrutement dans le cercle, avance que (il s'agit d'un vide présent dans la version originale)
Revue des jeunes recrues à Bandiagara
Quelque temps après avoir traversé la ville de Mopti, qui marque la limite du territoire touareg, Diagne fait une pause pour faire la revue des jeunes recrues de Bandiagara, au pied du pays des Dogons. Il faut dire que le recrutement de 1918 est un franc succès suite à la tournée du haut-commissaire Blaise Diagne. Clemenceau, le président du Conseil des ministres français et ministre de la Guerre, le récompensera en le nommant commissaire aux Troupes noires, puis commissaire aux Effectifs coloniaux.
Mopti
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Le passage vers Kouakour
Nous voici au passage du Bani, un bras du fleuve Volta. On entre dans le coeur du territoire s’étant révolté en 1916. Cette insurrection fut d’une ampleur considérable. En quelques jours, plus de 500 villages se soulèvent contre l’autorité coloniale. Au final, on compte plus de 160 000 insurgés dans les cercles de Dédougou et de Bobo-Dioulasso. Il s’agit donc d’une phase critique de la tournée du haut-commissaire Diagne. Il devra user de tout son charme pour inverser la tendance, hostile au recrutement, dans cette région.
Djenné
Nous arrivons à Djenné, où on organise un palabre en miniature. Le pouvoir colonial discute avec les chefs musulmans locaux, sur lequel on compte pour assurer un recrutement efficace. En effet, ces derniers font face à un choix: collaborer avec les autorités françaises ou leur faire le jihad, ce qui n’a que peu de chances de réussir. Quelques détails sur cette photo attirent plus spécifiquement notre attention. Tout d’abord, on remarque la mise en scène de la photographie. Le pouvoir colonial est debout à l’arrière, dans son uniforme blanc symbolisant l’autorité. Le pouvoir traditionnel, quant à lui, est assis sur le sol en avant. Il n’y a pas de mélange entre les deux. C’est le pouvoir colonial qui demande aux chefs musulmans de lui fournir des soldats, en échange d’une bonne rémunération. De plus, on remarque le bâtiment devant lequel la photographie a été prise. C’est la mosquée de Djenné, un édifice extrêmement important et symbolique pour les cultures locales. Enfin, on remarque l’homme barbu à la droite de la photo. Il s’agit fort probablement d’un chef de canton. On le remarque à sa tenure, qui semble plus hirsute et moins “civilisée” que celle des autres officiers français. La tournée de Diagne courtise donc les autorités coloniales et traditionnelles locales.
La mosqué de Djenné
Après avoir rencontré les chefs musulmans, la troupe de Diagne visite la mosquée et se retrouve sur son toit. On remarque que des drapeaux français ont été hissés sur l’édifice pour l’occasion. En temps normal, on n’en retrouve que sur les édifices coloniaux. Il faut donc croire qu’il y a eu une mise en scène lors de la visite de la délégation française.
San
Nous sommes à San, dans l’actuel Mali. La mise en scène témoigne à nouveau de l’importance de l’accueil folklorique par les populations locales. En effet, cet accueil témoigne d’abord d’un respect des populations envers la tournée du commissaire, mais également de la volonté de ce dernier d’allier tradition et modernité au sein des communautés visitées.
Sansanding
Nous voici dans un lieu très important (Sansanding non loin de Ségou) et celui qui l’habite, le Fama (chef), ne l’est pas moins pour le recrutement. Il est très respecté des populations et il va envoyer son propre fils faire la guerre en France. Il fera ainsi comme plusieurs princes de l’Afrique, qui contribueront à donner l’exemple à suivre aux populations locales. Les engagements volontaires des fils de chefs seront très élevés, 470 d’entre eux iront servir sous le drapeau français après cette campagne de recrutement. Le Fama a donc une influence certaine sur le succès du recrutement et il importe de gagner sa confiance. Il sera un acteur particulièrement zélé dans le recrutement, étant de ce fait même un interlocuteur privilégié pour Diagne et les autres cadres de la mission. Il faut dire que les chefs qui fournissent activement des troupes aux Français sont bien récompensés ; ils peuvent recevoir entre 6 et 20 francs pour chaque homme recruté. Cela s’inscrit dans le cadre d’un crédit spécial nommé « dédommagement aux collectivités indigènes ». En ce sens, on avait accordé à Diagne un budget de 800 000 francs. Cette somme importante témoigne de l’importance que le gouvernement français accordait à sa mission.
Ségou
Sur cette photo, nous sommes à Ségou. Cette ville est le chef-lieu du cercle de Ségou, un cercle administratif colonial, et constitue donc un endroit d’importance de la tournée. Ce sont des populations bambaras qui y résident et celles-ci s’étaient soulevées deux années auparavant. Diagne aura donc fort à faire pour faire passer son message. Nous pouvons voir sur la photo Diagne qui marche, comme il se doit dans la mise en scène voulue depuis le départ, au-devant des officiers coloniaux qui l’accompagne.
Koulikouro
Ici, on retrouve l’imposant cortège de voitures qui permet à la mission du commissaire de la république de se déplacer à travers la colonie. Nous sommes à Koulikoro, un chef-lieu d’un cercle administratif colonial. Il s’agit d’un arrêt important pour la tournée de recrutement de Diagne. Le cortège est embarqué sur les bateaux afin de franchir un cours d’eau. Il s’agit fort probablement d’un affluent du Niger. Il s’agit du seul moyen de retourner vers Bamako. Il est fort important de couvrir l’entièreté du territoire dans les temps impartis puisque le Haut-Sénégal et Niger demeure le plus grand réservoir en homme puisqu’il fournit 40% des conscrits soit plus de 20 000 hommes.
Voyage de Bamako à Kourossa
Le voyage de Blaise diagne ne s'arrête pas là. Il se déplace maintenant vers la Guinéé en passant (entres autre) par Siguiri, Kourossa, Diabola, Mamou, Kindia puis Conarkry. À la manière de son passage au Haut-Sénégal et Niger, le convoi est accueillis avec les grands honneurs surtout à Connakry.
Dabola
Mamou
Kindia
Conakry
Bilan de la mission de recrutement et conclusions
La mission du député Diagne en AOF fut un succès au regard des objectifs de recrutement voulus par les autorités françaises. En effet, 33 167 hommes furent recrutés, ce qui excéda largement les objectifs initiaux de 23 320 hommes. Le plus important fut que ces hommes furent recrutés, comme espéré au départ, sans un seul coup de fusil. Cette mission fut donc un grand succès de persuasion et de propagande. Au niveau statistique et militaire, les données de recrutement suite à la mission de propgande du député Diagne sont remarquables. Même si l'on peut dresser un tel bilan suite au passage de la tournée Diagne, Marc Michel nous rappel que d'autres facteurs moins dignes de mentions par les dispensaires de la mémoire de diagne ont également contribué à son succès. Il s'agit notament des répressions, de l'enfermement colonial (contrôle des frontières) et de la contribution des élites locales. Il ajoute que finalement, les populations obéissent davantage qu'elles ne colaborent.
Nombre de recrues par cercle
La question du recrutement de tirailleurs sénégalais en AOF durant la Grande Guerre a été tout d’abord explorée par les études pionnières de Marc Michel qui ont permis de mieux comprendre les origines et les enjeux politiques entourant la conscription avant et pendant le début de la guerre. Sa thèse de doctorat publiée en 1982 explore notamment la contribution économique et militaire de l’AOF à l’effort de guerre française. Dans la lancée des travaux de Michel, l’étude de Myron Echenberg offre quant à elle une synthèse de l’histoire des tirailleurs sénégalais, de leur création en 1857 à jusqu’à leur suppression au moment des indépendances en 1960 ». En dépit de leurs contributions majeures à l’historiographie, ces études ne prennent pas véritablement en compte le point de vue des colonisés. L’article de Patrick Dramé Des soldats à tout prix ! les sociétés du Haut-Sénégal et Niger et le recrutement de tirailleurs durant la Grande-Guerre (1915-1918) permet justement de saisir les réactions des « colonisés » face au recrutement en A.O.F à partir de l’étude de cas de la mission Diagne.
C’est maintenant l’aspect spatial de cette mission qui reste à être approfondi puisqu’il permettrait de mieux saisir la dynamique des relations entre la mission officielle, les zones de révoltes, les différentes populations rencontrés ainsi que les rouages de l’administration coloniale. Ces ensembles, perçus comme des « couches » de données pourraient, une fois superposés, dévoilés des conclusions nouvelles impossibles à démontrer lors de la lecture seule des sources. Dans l’optique d’une sensibilité nouvelle à l’égard de l’aspect spatial, l’utilisation des systèmes d’information géographique ou SIG permettrait de mieux visualiser l’étendue des différents scénarios possible dans le cadre de la mission Diagne. Ainsi, cette carte propose une nouvelle lecture de la tournée Diagne qui invite le lecteur à considérer les différents aspects du recrutement et à en tirer ses propres conclusions en fonction de ses propres sensibilités.