Introduction
Pour les administrateurs européens de l’Afrique-Équatorial française, le passage à une administration civile pour la gestion du territoire de la Haute-Sangha fut une des causes principales de la révolte qui allait secouer la région entre 1927 et 1931. Du point de vue de ces mêmes agents du pouvoir colonial, cette révolte n’était que le fruit de l’indiscipline naturelle des bayas, qui sans autorité, ont subit l’influence d’un sorcier, Karinou . Pour sa part, encouragé par l’idéal de la mise en valeur et celui de la mission civilisatrice, le gouvernement général de la colonie n’avait comme objectif rien de moins que la suppression complète de ce mouvement de dissidence. Nous seulement devaient-ils s’assurer que l’impôt continuerait d’entrer, mais aussi que la production de la région ne cesserait pas. Le gouverneur-général, autorise donc, en 1928, le lancement d’une opération militaire prescrite par le Général et commandant supérieur Thiry dont l’objectif est de rétablir les routes depuis Bangui, mais aussi de mener à l’arrestation des chefs dissidents dont le sorcier Karinou.
Dans le cadre de ce projet de recherche, nous proposons d’étudier ces cas du point de vue des opérations de pacification et de la cartographie. Nous tenons en outre à comprendre quels ont été les moyens entrepris afin de « ramener l’ordre » dans le pays, mais aussi de comprendre puis d’analyser les formes de la résistance des dissidents. Mis à part de ces aspects, nous estimons qu’il convient aussi de s’interroger sur les défis et les écueils qu’une telle étude sous-tend. En effet, puisque nous proposons travailler avec des sources coloniales, produites par des administrateurs européens, nous sommes conscients du phénomène « d’invisibilisation » qui touche les acteurs africains de la colonisation . En plus de retirer leur capacité d’action, limitant leur actes à des réflexes irrationnelles ou erratiques, ces documents ne laissent pratiquement aucune place à ces derniers. Il conviendra dès lors de nous interroger sur la manière de donner voix à ces individus à l’aide d’un tel corpus. Nous chercherons dès lors à rendre la disparité des témoignages visibles, possiblement d’en faire le récit et de faire tout en notre pouvoir pour rendre la parole aux traces, certes subtiles, laissé par les dissidents dans les archives coloniales . Un autre obstacle que pose une telle étude est celui de l’emploi de la cartographie afin d’étudier le phénomène colonial. En effet, nous risquons, par l’entremise de notre cartographie, de reproduire les modèles méthodologiques des géographes coloniaux de l’époque. À savoir de limiter la cartographie à un encadrement grotesque de la réalité colonial ou de reproduire le discours colonial voulant que l’espace colonisé ne soit qu’un monolithe totalement sous l’emprise de la domination coloniale .
Les sources
Les sources mobilisées dans le cadre de cette recherche proviennent de différents fonds d’archives coloniales. Tout d’abord, la série GG117 conservées au Archives nationales de Brazzaville (ANB) nous a permis de consulter des documents fort intéressant au sujet de la révolte dans le Bas-Oubangui . Cette sous série s’est aussi avéré fort utile pour mener une analyse au sujet des arrestation et de la justice post insurrectionnelle . Outre cette série des ANB, les séries 15H54 et 15H55 du Centre d’histoire et d’étude des troupes d’outre-mer (CHETOM) nous ont permis de consulter les différents rapports produits par les officiers militaires ainsi que des documents officiels dans lesquels il est fait mention des effectifs, des objectifs de mission ainsi que des analyses concernant les causes de la révolte et ce qui doit être fait pour « ramener la paix » dans le pays . Enfin, les documents conservés aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM) sous la rubrique GGAEF5D se sont avérés fort utiles puisque nous avons pu consulter les journaux de marche ainsi que la volumineuse correspondance entre différents administrateurs européens . Ces documents offrent aussi des témoignages concernant des évènements spontané et périodique opposants des individus à des agents coloniaux.
La méthodologie
Ces documents nous ont permis d’analyser la dialectique entre le phénomène de pacification et celui de résistance des populations « indigènes ». D’une part, nous avons identifié les réactions d’habitants qui refusent les demandes du gouvernement colonial. Dans les sources, bien qu’ils soient invisibilisés par les auteurs, cachés derrière leur supposée « barbarie », il est possible de noter les actions de différents individus ou groupe d’individus. Par exemple, les interprètes ou les chefs qui mènent la dissidence, mais aussi les combattants qui prennent les armes contre une armée coloniale ont développé différentes stratégies pour survivre à l’assaut mené par les détachements militaires, mais aussi dans l’objectif de poursuivre la résistance.
Donner voix aux « indigènes » ne se limite toutefois pas qu’à leur résistance. La voix d’autres individus s’est levée lorsque certains ont choisi de prendre part à la pacification ou simplement ajuster leur position en fonction du contexte politique. Aujourd’hui allié du pouvoir colonial, demain dissident, ces individus sont présents dans les sources, bien que décrits comme des chefs à l’attitude douteuse à l’égard des détachements militaires.
Afin de procéder à la spatialisation du phénomène de pacification, nous avons eu recours à de nombreux outils. Tout d’abord, nous avons travaillé avec le logiciel Zotero dans lequel il a été possible de recenser l’ensemble des documents de notre corpus. En outre, cela nous a aussi permis de rédiger des fiches dans lesquelles se trouvaient des résumés du contenu des différents documents présents dans les dossiers. Cette approche nous a dotés d’une manière efficace pour consulter et classer efficacement nos archives. En outre, cela nous a aidés pour la conception du SIG. En effet, grâce à cette analyse préliminaire, il a ensuite été possible de retourner consulter certains documents, notamment les journaux de marches, afin d’entreprendre la spatialisation de la pacification. Pour ce faire, nous avons travaillé avec le logiciel de cartographie QGIS ainsi que la plateforme Geonames. Grâce à celle-ci, nous avons été en mesure de géoréférencé de nombreux sites absents des plateformes conventionnelles comme Google maps sou Open street map.
À partir de différents documents d’archives, nous avons ensuite cherché à retracer l’ensemble des parcours suivis par les détachements militaires tout au long de la période dite de « dissidence » entre 1928 et 1931. Tout d’abord, nous avons créé différentes couches vectorielles avec des attributs descriptifs. La première couche nommée « opération de pacification – lignes » contient les attributs nom de l’opération, date, description, référence et id d’opération. La couche postes et villages rencontrés regroupe les villages mentionnés par les officiers des différents détachements. Les attributs descriptifs sont pour leur part axés davantage vers la nature de la rencontre (affrontement, accueil positif, accueil méfiant). Nous avons aussi ajouté un attribut « description de la rencontre » et un autre pour la référence.
L’étape finale de ce projet cartographique est d’enfin importer ces couches de données au format geojson dans un API cartographique. Pour notre part, nous avons travaillé avec Leaflet. Grâce à quelques manipulations, chaque point représente les différents attributs descriptifs. En outre, une telle cartographie permet aux lecteurs de consulter une lecture géographique du phénomène de pacification suivant une lecture analytique des sources d’Archives. Cette carte dépasse le croquis militaire dans le sens où elle nous permet de comprendre les dynamiques spatiales ainsi que la logique géographique des opérations de pacification d’une part, et d’autre part, identifie les lieux de la résistance autrefois absents des cartes produites par les militaires.
Un exmple de document d'archive
CHETOM, 15H55 dossier 12
Les lieux du pouvoir colonial
La domination coloniale se limite généralement à une série de lieux où le pouvoir des administrateurs est minimalement remis en question. Dans les villes et les postes, les gardes et une poignée d’européen maintiennent l’ordre et assurent, d’une poigne ferme, la mise en valeur du territoire. En revanche, au déclenchement de la révolte en Oubangui-Chari, ces lieux de pouvoir européens sont remis en question par les rebelles. Ces derniers n’hésitent pas à attaquer certains postes (Bouar et Bocaranga sont détruits par exemple) et ils n’hésitent pas à attaquer d’autres villages. Réfugiés dans leur village, ces derniers s’attaquent au pouvoir colonial par l’entremise d’un assaut sur les sites qui représentent la domination de la France sur les habitants « indigènes ». Lors de la révolte d’Ardo puis celle dans le Bas-Oubangui, le modèle est le même. Les anciens lieux du pouvoir colonial sont contestés par des forces « dissidentes » qui attaquent et pillent ces postes et ces villages. La destruction de ces sites devient une attaque contre un symbole de la « réussite coloniale » : des sites, qui illustrent le paroxysme pensé de la mission civilisatrice française. Les gens y vivent, y paient de l’impôt et y travaillent suivant les indications de l’administration européenne. La mise en valeur y va bon train et le travail prestataire est devenu presque normal. Les attaques sur ces lieux sont donc symboliques et témoignent de la conscience géographique des rebelles qui savent très bien ce qu’ils font. Mais quels sont ces lieux précisément?
Les circonscriptions et subdivisions
La circonscription et la subdivision sont les unités administratives de la gestion impériale. Bien que les chefs de circonscription et les chefs de subdivision sont constamment réputés comme étant en nombre insuffisant, il n’en demeure pas moins qu’ils représentent la domination dans le quotidien des habitants de la colonie. Accompagnés de gardes, ils ont la responsabilité d’assurer l’ordre et le contrôle dans « l’enclos » bureaucratique que tente d’imposer l’empire. La forme de domination qu’impose la division administrative est de forme moderne dans le sens où les décisions administratives sont prises dans l’objectif de doter l’empire de statistique officielle sur la démographie, la production ou l’étendue du territoire . La recension de cet espace incombe aux administrateurs locaux et témoigne du rôle prépondérant de la domination bureaucratique que tente d’imposer le gouvernement central à Brazzaville. La circonscription ou la subdivision ont la responsabilité de compter les sujets de l’empire, puis de recueillir ce qui leur est dû, c’est-à-dire les prestations, l’impôt, la production (minière, vivrière) et dans certains cas, des militaires.
En revanche, la structure administrative décrite plus haut rend la part belle à une administration aux limites importantes. Sans vouloir reproduire le discours colonial de l’époque, la région dissidente, ou « l’espace rebelle » a été, dans les années 1920, le théâtre d’un désengagement administratif de l’empire en raison de la difficulté des communications et du sous-effectif causé par le retrait des militaires en 1921. Selon certains chefs de circonscription comme le lieutenant Laporte, aucune tournée n’y fut effectuée, l’impôt ne fut nulle part récolté et les prestations pratiquement ignorées . Sur ce territoire où l’encadrement et le contrôle administratif a été à son plus bas, les habitants ont su profiter de l’absence pour proclamer haut et fort leur détachement à l’Empire et la fin de la présence des « blancs » sur leur territoire.
Malgré les lacunes évoquées plus haut, le gouvernement central, ne pouvant accepter cet état des choses, s’est doté comme mission de ramener l’ordre dans ces territoires. Pour ce faire, un réaménagement administratif ainsi que la nomination de quelques officiers militaires à la tête de nouvelles circonscriptions et subdivisions ont été planifiés dans le simple objectif de réintégrer ces territoires à l’administration centrale. Par exemple, en 1928, les subdivisions de Bouar et de Baboua, épicentre de la révolte de Karinou, sont rattachées ensemble pour former la nouvelle circonscription de Bouar-Baboua, avec, à sa tête, le lieutenant Boutin, officier responsable de la pacification dans la région . Une situation similaire attend les subdivisions à l’ouest de la circonscription de l’Ouham, épicentre de la révolte d’Ardo. Elles sont tout d’abord détachées de la circonscription puis regroupées sous l’appellation de circonscription de l’Ouham-Pendé. L’administration quant à elle est confiée à des officiers militaires comme le lieutenant Laporte et le lieutenant Simonou. Dans ce contexte, le gouvernement central semble vouloir créer des territoires de pacification où les militaires remplacent les civils et ont la nouvelle responsabilité d’y rétablir l’ordre. Nulle question de prestation ou de paiement d’impôt. L’objectif principal est d’y rétablir la domination coloniale française.
La pacification de l’espace rebelle au lendemain de la révolte de Karinou puis de l’attaque sur Bocaranga témoigne du double rôle de la circonscription. En temps de paix, la circonscription a comme responsabilité de lever l’impôt, de recenser la population et de veiller au bon fonctionnement du territoire. En temps de pacification, la circonscription devient un espace militaire où les colonnes circulent, procèdent à des arrestations et attaquent directement des regroupements de rebelles . La circonscription administrative devient ainsi une zone dans laquelle l’ordre doit être rétabli par la force. La circonscription en temps de conflit est, conséquemment, un territoire parallèle à l’Empire dans lequel pratiquement tout est permis pour rétablir l’ordre et la sécurité pour les sujets de l’empire et les investissements européens.
Les postes, les villages et les chefs-lieux
Les postes, les villages et les chefs-lieux occupent des rôles distincts du point de vue du contrôle de l’espace colonial. Les villages sont en quelque sorte les traces de la « réussite » française dans sa mission civilisatrice. Les « indigènes » y sont occupés à différentes tâches de nature économique, y paient l’impôt et y effectuent leur prestation. Les villages sont en outre confiés à des auxiliaires du pouvoir colonial, les « chefs indigènes », qui ont la responsabilité d’assurer la réalisation des tâches sues mentionnées. Dans les postes militaires, la situation est toute autre. Il s’agit de « périscopes » de l’administration centrale. « Perdus en brousse », ces postes militaires sont principalement occupés par des soldats européens et indigènes et par quelques villageois responsables entre autres de l’entretien et de la production des vivres. Ces sites deviennent ainsi des points de domination et de contrôle de l’espace colonial avec comme responsabilité de surveiller les « indigènes » et décourager toute forme de révolte. Leur occupation est en outre importante, car elle permet de « poursuivre et de maintenir l’action un certain temps et témoigner aux autochtones de la volonté absolue d’y demeurer ». Enfin, les chefs-lieux sont des sites de représentation du pouvoir central. On y retrouve les chefs de circonscription et de subdivision, ont y rassemble les travailleurs, l’impôt, les militaires et les bureaucrates . Comme mentionné plus haut, ces sites représentent des cibles de choix pour les dissidents. En effet, il s’agit de symboles du pouvoir colonial à abattre. Dans les sources, il est fait mention, à plusieurs reprises, que les rebelles attaquent les villages restés « loyaux », détruisent des postes militaires et menacent les chefs-lieux. Ces attaques visent vraisemblablement à décourager la loyauté de certains et agissent en outre comme des moyens d’affirmer le pouvoir de la révolte et de ses chefs .
Les infrastructures mises en œuvre
Afin de s’assurer d’un retour à l’ordre durable, les villages sont réorganisés sur le territoire. Les gens sont invités à rétablir leurs habitations près des routes, des rivières. De plus, tout établissement en montagne est formellement proscrit . Les conséquences pour les habitants sont majeures. Accepter ces conditions revient en quelque sorte à accepter le contrat social imposé par l’empire. En outre, quitter la montagne, revient à abandonner un lieu jugé invulnérable et intouchable. Le retour en plaine signifie en outre le retour de l’impôt et des prestations. Accepter ce réaménagement revient, conséquemment, au retour des habitants et des rebelles dans le giron de l’empire. Quant à eux, les postes, autrefois abandonnés puis détruits par les rebelles, sont réoccupés par des forces militaires et des officiers chargés du contrôle des régions. Cela avait pour objectif d’assurer une présence militaire de proximité afin d’éviter de reproduire « les erreurs passées » . En effet, pour le gouvernement général, il était impérieux d’assurer une présence sur le terrain et rappeler, du même coup, que toute forme de révolte est inutile. Pour les agents du gouvernement, un simple « relâchement de la surveillance » entrainera le retrait en « brousse » et le retour à « l’ancien état des choses » . L’objectif de cette occupation rigoureuse est donc de maintenir les « acquis politiques » et de prévenir toute autre forme de soulèvement.
Au terme de la guerre à proprement parler, la pacification ne se termine pas dès les derniers coups de feu. « L’action politique » et ce que nous appellerons l’action judiciaire sont menés à la fois par les magistrats et les militaires. En effet, les premiers ont la responsabilité de punir les responsables du soulèvement en rendant des décisions juridiques. L’exile, l’emprisonnement et la mise en résidence deviennent la norme. Punir par l’action judiciaire permet de retirer les chefs « fauteurs de trouble » de la région dite dissidente et de décapiter « l’état-major » rebelle . Ces mesures servent à prévenir de futurs mouvements séditieux. Les seconds, quant à eux, ont la responsabilité de veiller au maintien des « acquis » politique et de réprimander toute forme de retour à l’état de dissidence . Ces deux missions servent un intérêt commun, celui du retour à la normalité et de la prospérité supposément assurée par la « mise en valeur » du territoire. En effet, pour certains chefs de circonscription, le retour à la normale passe par l’exemple que prêcheront les villages qui verront les bienfaits économiques de la paix procurée par le retour à l’ordre .
Section 4
Je suis un texte.
Je suis un texte en exergue.
Les données géospatiales

Les cartes de base

Les couches vectorielles

Cliquer sur les pastilles pour mettre en surbrillance l'ittinéraire associé
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Détachement Boutin
Emplacement des villages
Emplacement des internements
Emplacement des mises en résidence
Emplacements des arrestations
Limites géographiques de l'espace rebelle
Limite géographique de la Haute-Sangha
Principales rivières mentionnées dans les sources
Limite géographique de l'Afrique-Équatoriale française
Lieu d'origine des condamnés à mort
Lieu d'origine des condamnés à déportation à perpétuité
Tribunaux indigènes d'Afrique-Équatoriale française

Les données de référence

Tribunaux indigènes d'Afrique-Équatoriale française
Tribunaux indigènes d'Afrique-Équatoriale française
Coordonnées :