Paroles coupantes

Idées tranchantes

Conceptions et critiques du néocolonialisme en contexte de décolonisation à travers la pensée de Sékou Touré et Kwame Nkrumah

À la fin du XIXe siècle, la majorité des espaces traditionnels africains ont perdu leur autonomie en devenant des possessions coloniales européennes. Sous l’égide du chancelier Bismarck, la conférence de Berlin, qui regroupe les grandes nations conquérantes entre 1884 et 1885, jette, en effet, les bases politiques, juridiques et diplomatiques du partage du continent africain.

Des dernières décennies du XIXe siècle jusqu’au début des années 1960, la domination coloniale européenne est marquée par l’exploitation économique, par le pillage des ressources premières et par la domination politique. Les populations sont réduites au rôle d’auxiliaire des autorités coloniales locales, contraint au travail forcé.

Le processus de colonisation est également accompagné par l’introduction et l’imposition de cultures vivrières, du régime du « commerce exclusif » de banques et de monnaies par les métropoles. De même, afin de s’assurer du maintien de la domination coloniale, les Empires français et britannique appliquent des structures militaires rigides comme l’occupation militaire et l’implantation de bases militaires. Parallèlement, des banques s’installent en Afrique afin d’arrimer l’économie africaine avec l’économie capitaliste mondiale, reléguant l’Afrique colonisée à un rôle de périphérie au profit du « centre » européen. Or, après plus d’un siècle de domination coloniale, la Seconde Guerre mondiale accélère les enjeux de décolonisation et vers 1960, l’écrasante majorité des pays en Afrique obtient l’indépendance.

En Gold Coast britannique, devenu Ghana, le processus de décolonisation débute avec Kwame Nkrumah, qui réussit un tour de force avec l’indépendance octroyée par la Grande-Bretagne, le 6 mars 1957. En septembre 1958, Sékou Touré, en Guinée, obtient à son tour l’indépendance pour son pays, après un référendum au cours duquel la Guinée refuse massivement le projet de Communauté française, au profit de l’indépendance immédiate.

Une nouvelle ère s’ouvre alors sur le continent : celle de l’édification des États-nations. Toutefois, il s’avère que la « mission civilisatrice » et la « mise en valeur » des richesses africaines, du temps colonial, ne se sont pas soldées par le succès escompté pour les nations africaines : malgré l’exploitation intensive du cacao au Ghana et de la bauxite en Guinée, les deux pays se retrouvent au moment de l’indépendance dans une situation économique catastrophique avec des besoins de financement significatifs.

Conséquemment, à l’aube de la construction des États-nations émergent des objectifs précis : du côté des États africains, l’objectif du développement économique et social, et pour la France, le maintien de son influence et de son rang de puissance. L’Afrique devient donc un enjeu majeur pour la France dans la poursuite de sa quête hégémonique. Les objectifs poursuivis de part et d’autre vont ponctuer les relations France-Afrique et mènent à l’émergence d’un nouveau type de collaboration, qui plonge ces racines dans l’expérience coloniale, nommé le néocolonialisme. En somme, nous assistons à la naissance de la « Françafrique », un complexe système de domination où les intérêts français dictent la direction des décisions, le tout se réalisant avec la complicité des élites africaines en place.

Objet de notre recherche

Le néocolonialisme désigne les relations entre les nouveaux États-nations africains indépendants et leurs anciennes métropoles au lendemain des indépendances. Il induit une nouvelle dynamique qui perpétue les intérêts et l’influence des anciennes puissances coloniales et l’état de dépendance des États africains anciennement colonisés. Ces deux dynamiques centrées autour d’un système d’intérêts mutuels sont suscitées par l’ancienne métropole, nourri et maintenu grâce à la collaboration des élites politiques au pouvoir dans les pays décolonisés.

Toutefois, Nkrumah et Touré souhaitent, dès l’indépendance, développer leurs pays respectifs sur la base d’un régime autarcique tout en rejetant la perpétuation des formes de domination désignées sous le vocable de néocolonialisme. Mentionnons également que les deux leaders ont été retenus en raison de leurs engagements contre le néocolonialisme et de leurs propositions alternatives au développement. Parmi les chefs d’État africains, rares sont ceux ayant pris la parole comme Touré et Nkrumah pour dénoncer et émettre des mises en garde vis-à-vis de la dépendance par rapport à la France. De ce fait, leurs discours sont ponctués de « paroles coupantes », en ce sens que leurs critiques respectives du néocolonialisme sont nombreuses et acerbes. Au point que leurs « idées tranchantes », puisqu’en tant que socialistes, nationalistes et panafricanistes, ils sont déterminés à conserver la souveraineté nouvellement acquise, assurer le développement économique et social de leurs pays et unifier l’Afrique.

La période couverte par notre travail se situe de l’indépendance des deux pays (1957 et 1958) aux politiques d’ajustement structurel imposées aux pays africains par le FMI (à partir du milieu des années 1980). Elle correspond grosso modo aux deux premières décennies dites d’édification des États-nations guinéens et ghanéens, ce qui constitue, pour nous, un moment idéal et pertinent afin d’observer le déploiement du néocolonialisme dans l’Afrique postcoloniale et de voir en particulier les conceptions de ces deux « pères des indépendances ».

À travers notre site web, nous proposons une histoire interactive du néocolonialisme à partir des visions complexes de Nkrumah et Touré. Le site sera divisé en quatre sections, suivant la logique des quatre chapitres du mémoire, où il sera possible de suivre nos analyses de la même façon qu’en lisant le mémoire. L’idée est de pouvoir lire et comprendre de manière ludique et simplifié le concept du néocolonialisme. Tout en défilant, vous aurez la chance d'apprendre sur l'histoire du néocolonialisme ainsi que des conceptions de Touré et Nkrumah, le tout avec des repères visuels.

La création du néocolonialisme